La rue bric à brac

Je n’ai jamais vraiment su pourquoi il me parlait si souvent de sa rue Bric à Brac, si c’était un jeu de mot ou un fantasme, mais il disait chaque fois exactement la même chose…

” Ah ! Ça, vraiment j’aurais aimé naître et vivre au numéro treize de la rue Bric à brac ; et je les entends d’ici, les aigris, les envieux ; c’est quand même terrible de ne pouvoir réussir sans engendrer de jalousie et de haine…non, non ce n’est pas du mépris mais tout de même de l’agacement.

Il est vrai qu’ici, le quartier est très calme, très aéré, les maisons très claires…Non, ici, pas de merde de chien, pas de violence, je dirais même, pas de fausses croyances, rien que du bien être, du sérieux quoi…

Mais, il n’y a pas de hasard, bon, je l’aurais gagné aussi ; j’aurais réussi, d’accord, mais parce que j’aurais beaucoup travaillé, fait beaucoup d’amis, servi mon pays. Il ne faut pas rêver, c’est le fruit d’une grande volonté d’ordre, d’harmonie.

Bien sûr, ça n’est peut-être pas pour tout le monde, mais aussi, est-ce que tout le monde se bat vraiment ? ”

Et il finissait inexorablement en répétant : ” Ah ! ça, ça aurait été formidable si j’étais né au numéro treize de la rue Bric à Brac. ”

Un matin, il m’a pris le bras et il m’a dit : ” regarde, ce matin n’est pas comme les autres ; le soleil n’est pas vraiment lui-même, même l’air est différent…

Mon âme ne crie pas, mon corps ne me fait pas mal, tout est comme léger ; les yeux sont parfois du bon coté de la pièce de monnaie, sur la bonne face de la lune…

Rien d’extraordinaire, rien de très spécial simplement de bonnes vibrations : hanche de femme, regard de chien ou accord bizarre. Quoi, me dit-il, je me répète et bien quand il arrive que le monde soit léger, il faut le dire et je le dis.  Sens comme la colline nous appelle avec ses odeurs, viens, on va voir les petites bêtes, comme dit l’autre, ça va nous laver la tête.

Et puis, on se couchera sur la mousse, on se laissera chauffer par les pierres pour s’y enfoncer. Bien sûr, qu’il faut fermer les yeux et se taire,

Une caresse, ça bouge et ça s’écoute…Chut »

Benoît Vauzel – 2017